L'interview date de 2006, mais c'était un tel plaisir... Je me devais de la remettre ici, en français.
Brian Jackson est l'un des grands de la Soul : c'est ce pianiste/multi-instrumentiste qui a collaboré avec Gil Scott Heron sur les 10 premiers albums de celui-ci. Mais il a aussi collaboré avec d'autres comme Kool and the Gang, Roy Ayers... et a décidé de sortir son premier album solo en 2000. Aujourd'hui Brian Jackson fait une petite tournée européenne. Alors pour ceux qui ne le connaissent pas encore, voici une très bonne façon de le découvrir !Mushroom-soul :
Comment as-tu commencé la musique ? Qu'est-ce qui t'as donné envie d'en faire ? Quels sont les titres de ton enfance ?Brian Jackson : Mes parents étaient de grands fans de jazz. Ma mère m'emmenait au récital de piano... Avant d'avoir cinq ans, j'ai demandé à ma mère si moi aussi je pouvais prendre des cours, elle a alors économisé pour m'acheter un piano, puis quand j'ai eu 7 ans, j'ai pris des leçons avec son professeur d'enfance. Le premier album que j'ai acheté - avec nos allocations- c'était 'Walkin' de Miles Davis. Puis plus tard, Stevie, Jimi, Otis, Sly, Al Green, Aretha, et plein d'autres encore... J'ai toujours eu envie de jouer de la musique, je ne sais pas pourquoi. Je suppose que c'est juste ce pour quoi je suis fait.
Tu as commencé ta carrière avec Gil Scott Heron, ensemble vous avez sorti vos 10 meilleurs albums. Comment et où vous êtes-vous rencontrés ? Quand avez-vous décidé de travailler ensemble ?Nous nous sommes rencontrés à l'université de Lincoln, en Pennsylvanie. J'étais là-bas car je voulais aller dans la même école que Langston Hughes et Kwame Nkrumah. Plus tard, j'ai découvert que ces deux grands hommes étaient à l'origine de la présence de Gil dans cette école. Un pote d'université, Victor Brown (vous pouvez entendre son ténor dans plusieurs de nos album dont Midnight Band), avait organisé un concours de jeunes talents – il voulait quelque chose d'original – et m'a entendu dans la salle de musique... Il a tout de suite pensé que je devais rencontrer Gil, que lui connaissait pour lui avoir demandé d'ecrire une chanson pour lui. Je pense que Victor voulait que je joue du piano à la place de Gil. Lorsque j'ai écouté le son que Gil avait écrit pour Victor, j'ai eu le souffle coupé. Les paroles étaient exceptionnelles. J'ai immédiatement joué les accords en ajoutant ma touche personnelle. Après avoir joué celle-ci pour le concert, j'ai joué plusieurs chansons que j'avais écrites moi-même et Gil était très enthousiasmé. Il m'a dit “Rejoue encore”, et il a commencé à écrire quelque chose dans son bloc-notes. Ce fût le début de la chanson "A Toast To The People", qui figure dans l'album "From South Africa to South Carolina". Nous n'avions pas gagné le concours des jeunes talents mais nous étions vraiment ravis d'avoir joué. Nous avons continué ainsi pendant 10 années...
Peux-tu nous en dire plus sur ces 10 années de collaboration ?Au début, nous n'envisagions pas d'être autre chose que des paroliers. Mais nous nous sommes vite rendu compte que personne ne voudrait chanter les thèmes que nous abordions... Et ceux qui parlaient de ce genre de choses dans leurs chansons, écrivaient en principe déjà eux-mêmes leurs textes... Donc nous n'avons pas eu d'autres choix que de jouer nos chansons nous-mêmes. Nous avons commencé à improviser, et par la suite nous avons fait plusieurs shows. Gil est Bélier et je suis Balance. Nous sommes opposés, comme le yin et le yang. Et dans cette opposition, nous avons trouvé un terrain d'entente. Nous étions des frères spirituels. Il y avait là un lien profond. Même après des années de séparation, si nous devions revenir sur scène, il y aurait encore de la magie. C'est indéniable. Chacun a fait ressortir ce qu'il y avait de meilleur chez l'autre.
Pourquoi avez-vous arrêté de travailler ensemble ?Il y avait des gens qui pensaient que Gil serait mieux tout seul. Ils l'ont poussé à ça, et voulaient que ça arrive. Ca a dû se produire lorsque Gil commençait à se droguer un peu trop. Il y avait des choses qui se passaient, qu'en tant que partenaire, j'aurais dû savoir. Je pouvais voir par les actions de Gil, et par les actions des personnes qui nous entouraient, que j'étais vu comme quelqu'un de remplaçable. À ce moment, je me suis rendu compte que la seule manière de me faire remarquer était de partir. C'était l'une des décisions les plus dures que j'ai dû prendre.
Es-tu resté en contact avec lui ?Gil a signé un second contrat avec Arista, sans me prévenir. A partir de là, il a rassemblé tout l'argent et les redevances etc. qu'on avait, et a prétendu ne pas savoir où je me trouvais. J'ai essayé de le contacter plusieurs fois au début des années 80, ce fût difficile mais j'ai réussi, et il m'a donné quelques dollars, sans même me parler. Tu ne sais pas à quel point je suis désolé et triste de dire ces choses là, mais ce n'est que la vérité. J'ai énormément travaillé durant une vingtaine d'années, et contrairement à ce que les gens pensent, ce n'était pas le cas de Gil. Je sais combien les gens aiment Gil. Je ne sais pas combien l'aimerons maintenant que j'ai dit ça. Cela ne me fait pas plaisir de révéler ça...
Qu'est-ce qui s'est passé entre cette séparation et la sortie de cet album solo en 2000, pourquoi avoir attendu aussi longtemps pour le sortir ?J'ai travaillé avec Will Downing, Reggie Lucas, Bobbi Humphrey, Kool and the Gang, Roy Ayers, Phyllis Hyman et d'autres grands artistes. J'ai pu m'exprimer a travers d'autres collaborations et ce fût très satisfaisant. Mais le côté business de la musique m'a démoralisé. J'ai laissé tomber la musique en 1994. En 1998, plusieurs personnes m'ont convaincu de faire mon retour, et j'ai relancé un groupe. En 2000, j'ai sorti mon premier album solo 'Gotta Play'.
Beaucoup d'artistes vous samplent, comme De La Soul ou encore Mos Def. Te contactent-ils, ou te demandent-ils la permission avant de se servir de vos morceaux ?Non, peu d'artistes m'ont contacté. Mais beaucoup d'entre eux ont contacté Gil. Je me demande même si ils réalisent que la musique qu'ils samplent est la musique que je jouais ?
Comment définirais-tu ta musique aujourd'hui ?Et bien rien ne pourrait m'inciter à changer de style... car la musique la plus populaire aujourd'hui est basée sur ce que je suis, et que d'autres artistes de ma génération sont. J'estime qu'aujourd'hui je suis un meilleur musicien, que je suis plus ouvert. J'ai appris beaucoup de choses des autres musiciens et écrivains. Mais la musique que je fais m'est propre, les gens la reconnaissent. Je n'essaye pas de faire quelque chose de précis, c'est juste ce que je suis et ma personnalité qui se retranscrivent dans ma musique. Je ne pourrais pas faire autre chose même si j'essayais. Heureusement pour moi, les gens l'aiment encore !!!
Tu as une tournée en Europe... Peux-tu nous dire où tu joueras et avec qui ? Et pourquoi seulement maintenant ?J'ai voyagé un peu partout et je voulais que les gens sachent que je suis encore vivant ! Je serai en Europe avec un groupe de musiciens fantastique, composé d'Eugene Chadbourne, Brian Ritchie et Victor DeLorenzo des Violent Femmes. Nous nous appelons G.o.i.n., qui signifie Get Out of Iraq Now. Nous serons à Paris pour le festival Banlieues Bleues le 28 mars, puis à Bruxelles, à Amsterdam, à Baarle-Nassau et à Milan. Après ça, je ferai plusieurs concert au Royaume Uni où je vais jouer avec Digable Planets et peut être que nous jouerons ensemble pour une petite tournée européenne durant l'été.
As-tu un album en préparation ? Si oui, peux-tu nous en dire plus ?Je suis en train de travailler avec plusieurs vieux amis, Ron Carter, Mike Clark, Airto Moreira, Dj Logic et Kentyah Fraser. Nous travaillons sur un nouvel album qui devrait sortir en 2007. C'est un travail plein d'amour et de passion, et si tu connais quoi que ce soit de ces grands artistes, tu dois savoir à quoi t'attendre !!
Quel est ton dernier coup de coeur musical ? Que penses-tu de la musique actuelle ?J'aime bien le nouvel album de Bilal, j'ai entendu quelques titres. Les gens qui jouent vraiment de la musique capturent mon attention. Je veux écouter de la musique jouée comme avant, je ne suis pas contre le sampling ni rien, mais nous ne devons pas ignorer et oublier la tradition. Nous avons besoin de savoir jouer de la musique sans électricité, juste au cas où
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