B1BC Mushroom soul: février 2006

Stefan Filey

jeudi 2 février 2006



Avant tout, peux-tu raconter brièvement ton parcours ?

J'ai commencé le chant à l'église avec mon frère à l'âge de 6 ans. Je suis vraiment imprégné de la culture afro-américaine, à travers le gospel, le negro-spiritual. Par rapport à ça, j'ai essayé de me développer artistiquement avec mon frère, en créant le groupe Sweetness. On a commencé à faire des concerts qui ne rentraient que dans le cadre de l'église, puis des festivals. Après, on a suivi notre chemin, on a fait énormément de concerts, la première partie de Michael Jackson, les premières parties d'Obispo lors de sa tournée française. Mais malheureusement au niveau discographique ça n'a pas suivi, les maisons de disques ne comprenaient pas vraiment nos attentes. Mais on a pu s'accomplir en tant qu'artistes en faisant beaucoup de scène.

Mais pourquoi vous êtes vous séparés ?

Comme vous le savez, un groupe ça a une durée de vie limitée. Chaque personne a envie de se connaître artistiquement, on a donc décidé d'arrêter. Piero Battery qui a créé sa structure et sort les compilations Gospel Act. Mon frère sort bientôt son album. Et moi j'ai suivi mon chemin.

Lorsque vous vous êtes séparés, vous saviez déjà ce que vous vouliez faire ?

Non pas du tout, on était un peu en saturation. Moi, je suis parti de zéro pour faire cet album en 2002, Soul Influence. Je pensais vraiment pas à un projet solo. Et quand le groupe a arrêté j'ai décidé de faire des morceaux, de me lâcher et de sortir cet album.

Ce fut difficile de sortir l'album ? On a voulu t'imposer un style, te formater ?

Pas du tout, j'ai rencontré Voix Publik, qui a produit Kayna Samet entre autre et Matt à l'époque. Et j'ai vraiment eu libre cours au niveau de la créativité, au niveau de mes aspirations et par rapport à ça j'ai vraiment lâché. Il y a un côté naturel dans cet album. J'ai pas du tout pensé au formatage radio.

Et tu n'avais pas peur de sortir l'album ? Que ça ne marche pas ?

L'album est sorti seulement dans l'optique de me faire connaître, de faire du live, de faire un petit peu de buzz. C'était un album sans prétention. On parle beaucoup de nu soul en France, mais avant il faut faire de la soul. Il faut connaître les bases. Les américains sont déjà à ce stade là, en France on est un peu en retard. Pour moi c'était le passage obligé, de faire les choses comme ça, de rendre hommage à l'héritage. Et si j'étais allé à la nu soul directement j'aurais manqué une étape. Et il y a beaucoup de gens qui voient le résultat et qui manquent l'essentiel, l'héritage, la profondeur et ça passe par connaître cette tradition. C'est pour ça que cet album est un peu old school. Et il n'y a aucune programmation, tout est joué au live.

Tu prépares un nouvel album ?

Oui, je prépare un nouvel album. J'ai fait plusieurs morceaux, où je produis. Je suis instrumentiste pianiste, donc je produis les morceaux moi même. J'en fais un maximum et j'irai démarcher quand je me sentirai prêt.

Tu as bientôt fini ?

On va dire que j'ai les trois quart des morceaux. Mais au niveau de démarchage j'ai pas trop forcé auprès des maisons de disque. Je préfère faire les choses de manière naturelle et après on verra. J'ai des connexions à l'étranger, pour l'instant je suis plus focalisé sur cette connexion et c'est peut être pour ça que je calcule pas trop ici.

Il y avait une rumeur à un moment sur le forum, sur tes collaborations à l'étranger, comme quoi tu étais en contact avec Kanye West, c'est vrai ?

C'est vrai que je suis en connexion avec des américains, mais je peux pas vraiment en dire plus pour le moment (rire).

Tu prévois des collaborations pour ton album ?

Pour l'instant je sais pas. Vu que je fais seul cet album, j'ai pas trop pensé à ça pour l'instant.

Dans les morceaux que tu as fait, y a-t-il un changement par rapport au premier album ?

Oui, au niveau de l'instrumentation c'est proche, mais c'est au niveau de l'approche rythmique. Les métriques et les rythmiques sont plus proches du Hip hop, ce qui fait que c'est un peu plus moderne. Mais pour moi ça reste de la soul, en français bien sûr.

Sur la maquette il y a une reprise de Téléphone, "Un autre monde". Pourquoi avoir choisi ce titre ?

Le reproche que je fais au mouvement nu soul, c'est que c'est trop axé sur le style et parfois ça manque de composition, de chanson, de mélodies. Je voulais faire un exercice de style avec une chanson française, à savoir "Un autre monde", la faire à la sauce hip hop / soul. Je trouvais que c'était un bon exercice, montrer qu'une belle chanson reste une belle chanson, je trouve que c'est une belle chanson au niveau mélodique, il y a beaucoup d'espace. Elle me fait vraiment penser à la musique anglo-saxonne. Et vu que moi, je ne suis pas vraiment chanson française, quand je dis ça c'est que je me sens plus proche de la musique afro-américaine ou anglo-saxonne. Je trouvais que c'était la chanson la plus adaptée pour lui donner un style soul.

Tu parles beaucoup de musique afro-américaine, c'est tes parents qui t'ont initié à ce style ?

Mes parents, mes cousins et les membres de ma famille m'ont fait découvrir ce style. Après, c'est de la recherche personnelle. De la même manière j'ai appris le piano en autodidacte, et c'était aussi de la recherche personnelle. J'avais vraiment envie d'avancer, alors j'ai étudié. C'est un plaisir de travailler aussi bien des mélodies, des phrasés... Ce sont des choses qui me passionnent. Il faut vraiment toute une vie pour se sentir épanoui.

Quels sont les artistes qui t'ont le plus influencé ?

Je dirais que toute la soul, tout ce qui se faisait chez Motown, chez Stax. J'ai écouté beaucoup de chanteurs mais j'écoute beaucoup d'instrumentistes.

ll n'y en a pas un qui ressort plus que les autres ?

Je suis un fan de Marvin Gaye. J'écoute autant de saxophonistes comme Coltrane, de trompettistes comme Miles Davis, que de chanteurs. Mais je suis pas un pro chanteurs. Je trouve toute l'inspiration dans la soul, la période Blue Note, des années 50 aussi, pour trouver mon propre style.

Quel est ton approche par rapport au téléchargement ?

Je pense que les maisons de disques ont été un peu prises de court par rapport à ce genre de format. Moi je ne parlerai pas de crise mais plutôt de révolution, où il faut savoir s'adapter. Les maisons de disques s'en mettent toujours plein les poches. Ce ne sont pas les artistes qui sont spécialement touchés, et les maisons de disques ne perdent rien non plus. C'est un bon moyen pour les artistes ''underground'' de se faire connaître. Il faudrait que les droits d'auteurs soient bien redistribués mais je pense que c'est une bonne chose.

Tu as fait les premières parties de Bilal et Angie Stone, es-tu encore en contact avec eux, ça a changé quelque chose ou non ?

Non, pas du tout. J'étais en connexion avec les musiciens et on s'est perdu un petit peu de vue. Je suis un grand fan du pianiste qui accompagnait Bilal et qui a sorti son album chez Blue Note. C'est un registre plus Jazz. J'ai plus travaillé pour Kanya Samet l'année dernière, et après je me suis mis au travail pour mon projet donc ça n'a pas suivi au niveau des contacts avec eux. La connexion avec les américains s'est faite ici suite à un concert que j'ai fait à l'Opus Café, piano/voix. ( I Need Soul ).



Comment vois-tu l'avenir de la soul française. Y a-t-il vraiment un avenir, pour toi ?

Je pense que l'avenir sera toujours aussi difficile.

Tu ne penses pas que le public va s'élargir ?

Je pense que la nouvelle génération commence à être éduquée. On a plus accès à tout, clips, radio etc. Mais paradoxalement le fait d'avoir un accès plus facile, fait qu'on étudie moins, on prend ce qu'il y a et on digère pas vraiment. Alors qu'avant, je parle en tant qu'ancien, on n'avait pas accès à tout et ça nous poussait à aller chercher plus loin, à la base. Aujourd'hui il y a trop de diversité. Par exemple, le soir j'ai le choix entre quatre-vingt films, en fait je ne regarde rien. La soul française doit se construire, il ne faut pas qu'elle brûle les étapes. Et pour le moment des soulmen, vraiment il n'y en a pas.

Tu es quoi alors ?

Je me considère comme soulman mais j'ai la trentaine. Mais quelqu'un qui a la prétention de faire de la soul à vingt ans, en France, ça n'existe pas.

Ils font quoi alors ?

Ils font autre chose, du RnB... Mais pas de la soul, ils font quelque chose qui est emprunté à la soul. Moi à l'âge que j'ai, je pense que j'arrive à maturité depuis un ou deux ans. Ca fait vingt ans que j'étudie cette musique, et je pense, sans prétention aucune, à arriver à maturation. Donc ça m'étonnerait qu'il y ait quelqu'un de vingt ans qui fasse de la soul. Aux Etats-Unis, il n'y a pas de problème, ils vivent dedans, ce sont les inventeurs. Ils écoutent la radio, il n'y a que ça, ils vont à l'église qui empreinte de blues. Toutes leurs musiques sont empreintées au blues, donc celui qui se met au piano à l'âge de huit/neuf ans, arrive à maturité à l'âge de quinze/vingt ans. A vingt-cinq ans il connaît déjà tout de cette musique. Mais en France, je suis sceptique, et je trouve que le terme soul est mal employé, c'est un fourre tout. Je suis d'accord qu'on empreinte à cette musique mais c'est pas de la soul.
Je vais prendre l'exemple de quelqu'un qui vend des disques: Corneille. On dit que c'est de la soul. Pour moi c'est de la variété. Il n'y a rien de péjoratif, il y a de la bonne variété. On va dire que ce qui marche c'est de la variété.

Et dans la petite scène. Tu sais, les débutants comme Rony par exemple. Il n'y en a pas un qui t'impressionne plus que d'autres ?

Je trouve que Rony est bon. Il a emprunté à la soul urbaine, mais je trouve qu'il amène quelque chose en plus. J'ai écouté deux trois titres de lui et il a compris ce que les autres n'ont pas compris. Je ne sais pas ce que c'est, mais musicalement il a apporté un truc, et tous les autres n'ont pas capté.

C'est peut être la touche électro qui fait qu'il est différent des autres ?

La touche électro, et je trouve que musicalement il y a un côté "simple". C'est pas claquant. Il y a un côté très urbain, c'est difficile de définir sa musique, mais en tout cas j'ai énormément apprécié.

Et il y en a d'autres ?

Mon frère Eric qui sort bientot son album. Jacques Daoud qui est dans un registre plus funk. Dans un registre plus "chanson", il y a l'album de Gérald Toto, qui va sortir bientôt. Tedjee j'aime bien aussi. Mais tous les artistes que je vous ai cité ne sont pas encore surmédiatisés.
Par contre, je n'adhère pas du tout aux chansons à texte. La musique est un prétexte. Elle est placée au second plan. Car rythmiquement il n'y a rien du tout, ça ne bouge pas, ça chante faux. Tous les médias se sont accaparés, "ouais tout le renouveau de la chanson française". Mais je pense qu'il y a des gens de notre génération, des gens issus de l'immigration... qui ne se reconnaissent pas là-dedans. Il y a beaucoup de gens qui ne se reconnaissent pas là-dedans et ils nous bassinent avec leur "chanson française".

Il en faut pour tout le monde.

Oui, mais là c'est vraiment la "prédominance" de ce style. La France c'est le pays de l'art mais vraiment pas celui de la musique. Aux Etats-Unis, comme je disais, ils écoutent la radio, il regardent la télé, il n'y a que ça. Il y a aussi des programmes d'aide de bourse par rapport à la musique, si tu joues bien, si tu t'investis dans la musique, si tu joues d'un instrument dans ton école, tu as une bourse, comme pour le sport. C'est pour ça qu'il y a autant de bons musiciens. En France, on fait une heure de musique par semaine, de la flûte... La culture musicale française est vraiment maigre.

Tu n'as jamais pensé faire ta carrière aux Etats-Unis ?

Non, c'est clair que j'ai toujours eu les yeux rivés sur les Etats-Unis, mais je me sens tout de même français, d'origine antillaise. Ma langue natale c'est le français. Mais aujourd'hui, des gens comme moi, au niveau de la représentation médiatique, c'est inexistant. Le mouvement soul en France, c'est un mouvement parisien. Mais moi si ça devait rester comme ça, ça me serait égal, l'essentiel c'est de pouvoir s'exprimer, d'arriver à son projet, au plan artistique. Et si les média suivent, c'est la cerise sur le gâteau.
Mais pour refaire l'éducation musicale des Français, il faudrait des siècles. Il faudrait déjà changer les animateurs de radio et de télévision. Et de plus, les gens qui sont à la tête des maisons de disques ne connaissent rien. Ce sont des business men avant d'être des musiciens. Regarde, tu va leur dire "Curtis Mayfield", ils vont te dire "c'est qui ?". Moi, ça me fait rigoler quand j'entend, "ouais chante à la Pharell". Alors qu'il a calqué son style sur "Curtis Mayfield". Bien que les maisons de disques sont sensées avoir un palette musicale, il vont te dire "à la Pharell". Donc pour que ça change, il faudrait déjà virer tous ceux qui sont à la tête des maisons de disques, et qui ne connaissent rien et les remplacer par des musiciens. Et à partir de là, il y aurait un changement. Mais dans trente ans on fera encore des petits concerts underground sur Paris.

Tu n'as pas envie de te mettre encore plus en avant, pour avoir une plus grande reconnaissance, ou ça ne compte pas pour toi tant que tu fais ce que tu aimes ?

Du moment que je fais ce que j'aime, le reste m'importe peu. Moi ce que je veux, c'est rester le même et faire exister la musique. Je laisse les choses se faire naturellement, je préfère passer mon temps à étudier la musique, que de courir après les maisons de disques ou observer les ventes. Je me sens vraiment artiste avant tout. Ce que je veux c'est partager la musique. J'ai la chance d'être musicien, donc je fais des séances de clavier pour des artistes, des arrangement vocaux aussi, comme pour Kanya.

Comment procèdes-tu pour écrire ou faire tes instrus ?

Tout part du piano, j'essaye de trouver un riff en fonction des accords que j'ai travaillé. Et petit à petit je façonne. Une fois la mélodie finie je pense à l'aspect rythmique. Et, enfin, j'écris le texte. Chacun sa méthode mais je pense que celle-ci est la mieux appropriée.

Tu as des scènes de prévues ?

Pas pour le moment. Je travaille vraiment pour mon projet et à côté de ça, j'ai monté un collectif Soulvivor, on est trois. Il y a JC le guitariste et Patson. On fait des compositions pour divers artistes. Et on sera prêt d'ici février, on aura de quoi faire écouter. C'est aussi un aspect que j'aime beaucoup, travailler pour les autres, me mettre au service des autres, c'est un peu mon côté ''éducateur''. Je ne suis pas éducateur, mais j'ai donné beaucoup de cours, notamment à des enfants. J'aime me montrer comme tout artiste, mais je peux aussi faire des concessions, être en contact avec d'autres artistes et me mettre à leur service.

Vous vous connaissez depuis longtemps ?


JC c'est le guitariste qui a joué sur mon album, et Paston a monté son studio il n'y a pas longtemps et on s'est rencontré. On s'entend bien donc on a décidé de monter ce collectif.

Et, quels sont les artistes pour qui vous travaillez ?

C'est pour tout artiste passionné de soul qui cherche des compos

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